Mon grand père Georges Meulle a toujours aimé les Peugeot.
Il avait une belle 203 dans
laquelle, petit, je m’asseyais à la place du conducteur, admirant
l’impressionnant compteur de vitesses qui allait jusqu’à 150.
Nous on avait une 2 CV, qui plafonnait à 90 en descente, dans
laquelle étaient entassés nos parents et les enfants. Lorsque la capote fuyait
ou que les essuie-glaces ne fonctionnaient pas en raison de leur dépendance de
la vitesse, je regrettais le confort de cette belle Peugeot dans laquelle
roulait mon grand père, allant chaque jour faire les courses au Lion d’Angers
pour les 18 vacanciers de La Coudère étalés sur trois générations. Il passait
ainsi une à deux heures chaque matin chez les commerçants du bourg, emmenant
souvent ma grand tante Hélène Desprez qui arrivait essoufflée de La Carrière
voisine avec ses nombreux sacs pour sa nombreuse descendance, agacée par les
impatiences de son beau-frère qui ne supportait pas ses retards pourtant
modérés en dépit des coups de klaxon de la 203.
Et puis j’ai commencé à grandir et, en tant qu’ainé des
petits enfants, j’eus le droit magique d’accompagner mon grand père lorsqu’il
faisait la tournée de ses fermes.
Ainsi, lorsqu’on partait tous les deux au Bois-Billé, passé
le Lion, il me mettait sur ses genoux et je pouvais ainsi conduire la belle 203, majestueusement dominateur des
chemins vicinaux.
Lorsqu’on croisait la 403
commerciale de la gendarmerie, mon grand père faisait un grand signe de la
main, il connaissait tous les gendarmes du coin auxquels il amenait des
perdreaux ou faisans en septembre lors des premières chasses. Ceci arrange
cela.
Moi, j’adorais ces virées complices pour lesquelles, rentré
le soir à La Coudère, je ne disais absolument rien à mes parents, pensant que
c’était un secret entre mon grand père et moi.
Les Peugeot ne se
limitaient pas à La Coudère. On voyait chaque fin d’après-midi arriver la 403 familiale de mon grand oncle Henri
qui amenait le clan Desprez du Tertre, souvent conduite par ses fils ainés
Vincent ou Martin, et qui, une fois sur deux, déposait mes cousins soit à La
Coudère chez la grande sœur Marguerite Meulle, soit à La Carrière chez le petit
frère Michel Desprez. Equilibre familial respecté. On plongeait alors tous dans
l’Oudon pour notre bain quotidien, nous écartant parfois pour laisser passer
les péniches surchargées qui remontaient jusqu’à Segré, et riant parce que 20
cousins bruyants dans la rivière faisaient râler les pêcheurs. On sortait de
l’eau quand sonnait la cloche de La Coudère, annonçant qu’il était temps de
remonter pour le dîner familial pris tous ensemble sur la longue table en bois
de la maison.
Et puis j’ai continué à grandir et suis arrivé à 17 ans et
demi, impatient de passer mon permis de conduire. Il fallait que je sois
présenté par une auto-école, les leçons de conduite sur la 203 ne semblant pas être suffisantes pour l’inspecteur du permis de
conduire qui habitait sur la place de l’église du Lion, un certain Monsieur
Bureau, père de mon futur cousin Jean Bureau qui épousera un an plus tard ma
cousine Véronique Desprez. Je m’inscris donc à « Gillet Auto-Ecole »,
située à quelques mètres de l’église et de l’inspecteur du permis, le
terrorisant Monsieur Bureau.
Mais, encore lycéen, et n’ayant aucun revenu malgré les économies
sur les achats de cahiers, il me fallait financer les quelques symboliques
heures d’auto-école sur la R8 de Monsieur Gillet – oui, une Renault, au grand
dam de mon grand père. Quand celui-ci m’a demandé de trouver un moyen de gagner
un peu de sous, j’ai choisi de conduire le tracteur de la ferme de la Coudère
qu’il avait acheté pour les nouveaux fermiers, les Joubert, ceux qui avaient
succédé aux odorants Bouvet et à leurs chevaux de trait, gagnant ainsi de quoi
payer mes trois heures d’auto-école politiquement indispensables.
Arrive le jour du permis, ma mère Monique, fille de Georges
Meulle et Marguerite Desprez, me conduit à Segré, où le Monsieur Bureau
m’attend de pied ferme. Il était 8 heures du matin, cette journée de fin d’été était belle et Monsieur
Bureau de bonne humeur, plus du tout terrorisant. Il savait que nos deux
familles allaient bientôt s’unir et il fut remarquablement tolérant, à la fois
sur les questions de code que sur le démarrage en côte raté. Mon petit papier
rose dans la poche, nous sommes rentrés prendre le petit-déjeuner à La Coudère,
moi conduisant fièrement la 403 que
mes parents venaient d’acheter et qui remplaçait la vieille 2 CV à bout de
souffle.
Et puis mon grand père, lui aussi, décida de monter d’un
cran, et il acheta une magnifique 404
verte dont le compteur allait jusqu’à 160 !
Qu’allait-il faire de sa 203 ?
Dans sa générosité, il proposa de me la donner. J’étais fou
de bonheur. Mais …
Mais, lycéen sans ressources, comment payer l’assurance,
l’entretien et l’essence ? La mort dans l’âme, et sur les conseils de mes
parents, je renonçai.
Et retournai à Paris vers ma Mobylette bleue, celle qui
m’emmenait chaque matin au lycée Claude-Bernard, puis plus tard à Janson de
Sailly.
Finalement, avec un peu de recul, je me dis qu’une vieille 203 immatriculée dans le Maine et
Loire n’aurait jamais rivalisé dans le
cœur des filles face aux Mini Cooper S et autres Triumph TR4 des minets du 16ème.
Jean-François Montin,
petit-fils de Georges Meulle et Marguerite Desprez, et amoureux de La Coudère.
Commentaire de Martin DESPREZ : JF as tu connu la Peugeot précédente probablement achetée par tonton Jo avant la guerre? Je crois que c'était une 401 ou une 302 .
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