mardi 14 avril 2015

Guerre

Extraits Journal de Jeanne Desprez, à compter du 6 juin 1944.


6 juin. « Les avions ont tenu le ciel depuis 5 h jusqu’à 8h 30 sans arrêt. A 9h 30, j’apprends à la radio anglaise le débarquement sur les côtes nord de la France. Dieu protège notre pauvre pays !
Les avions ont survolé la contrée toute la journée. Vers le soir, quelques échos de canon lointains. Certaines têtes de pont semblent s’être maintenues. On se bat parait-il dans les rues de Caen. 11.000 avions ou sorties d’avions, 4000 navires plus d’innombrables petits, d’immenses planeurs remorqués ont parachuté des troupes. Attaque gigantesque. Peu de réaction de l’aviation allemande.
7 juin. Passages incessants d’avions de toutes grandeurs et d’une dizaine de chasseurs allemands. Nouveaux parachutages en arrière des lignes.
8 juin. Ce matin, nouveau bombardement d’Angers.
10 juin. Ce soir pendant 1h ½, le canon semblait-il a tonné. Ce matin nous entendions le bombardement de Tours. Martin disait à ce propos : « on doit faire sauter la terre avec une mine de houille ! »
11 juin. Dimanche de Fête Dieu. Peu de bruits de guerre. Maurice, Pierre (le frère de Maurice) et 3 comparses ont essayé de dresser « Turenne ». Beau spectacle de manège et même de cirque. Sur le tard, visite des Michel. ... J’ai semé des radis, planté des pétunias.
13 juin. Grosse émotion au Tertre hier soir : 4 avions à double queue, descendant en piqué vers le Lion, ont jeté une petite bombe dans un petit bois près de la Beuvrière et de la Violette, beaucoup de bruit pour rien heureusement. 2è bombe dans les environs de la gare (1) et mitraillage d’un train de munitions stationné en gare. Un avion a été abattu par la DCA et est tombé à Gené. Le train est reparti une heure après. Pas de victimes à ce que je crois.
14 juin. A peine remis des émotions de la veille, nous avons été soumis à une autre épreuve. Vers 15h 30, alors qu’un convoi de tanks et de grosses batteries anti-chars se dirigeait à toute allure vers Château-Gontier et le Nord, une escadrille de chasseurs bombardiers, volant à basse altitude,  a soudain virevolté et en un clin d’oeil attaqué le convoi entre Grieul et la côte de David, c’est-à-dire nous encadrant. J’ai ramené les poussins et nous nous sommes réfugiés près de Mémé dans le petit salon, après avoir ouvert toutes les fenêtres. Laurent était au lavoir avec Elizabeth et tous les deux n’en menaient pas large. Ça a vraiment claqué sec et toute la maison a été secouée violemment. Une bombe est tombée à Grieul sur un camion citerne qui a flambé intégralement, mais aussi sur la ferme de Derouet où deux personnes ont été tuées. A Grieul il n’y a plus de carreaux et chez Gannier plus de portes. Un autre tank a brûlé en haut de la côte de David et toutes les munitions ont sauté tout l’après-midi. Là un homme a été tué avec ses deux chevaux. Quelques bombes sont tombées du côté de la Noue, mais la ligne n’a pas été touchée. Au Tertre une bombe est tombée sur un gros châtaignier et une autre dans la pièce de l’étang. Quelques balles de mitrailleuses sur les toits ont enlevé des ardoises. Grâce à Dieu et à ND du Tertre, aucun dégât et pas d’accident ! Mais l’alerte a été chaude. La journée a été calme ensuite et la nuit aussi.



16 juin. Journée belle et calme. Cette nuit les convois ont défilé, heureusement j’ai dormi. Depuis le bombardement nous n’avons plus d’électricité car les fils ont été brûlés à Grieul. Si bien que nous n’avons plus de radio et comme on n’a pas eu de journal depuis deux jours, on ne sait rien de ce qui se passe. 
Aucune lettre de Paris depuis le 3, c’est long ! En cette fête du Sacré Coeur, il y aura peut-être un espoir pour la France de voir se terminer la guerre. C’est ce que Vincent et moi avons demandé ce matin dans notre Communion.
18 juin. Hier soir grosse émotion de nouveau. 150 forteresses volantes accompagnées de chasseurs volant dans la direction d’Angers, ont lâché près de 80 bombes dans les champs à 2km de Grez sur la route de Feneu. Ont-ils voulu atteindre le château de l’Isle où des convois étaient soi-disant parqués ou bien le camp d’aviation de Bourg Soulaire, à tort car grosse erreur ! Angers a été atteint ensuite... Michel arrivait à ce moment au Tertre. Heureusement il a échappé au bombardement de Laval jeudi par miracle !
24 juin. Henri nous est arrivé à l’improviste, venant à bicyclette de Paris, ayant mis 48h pour faire ses 350km. Il n’avait pas l’air fatigué et prétendait avoir fait cela très facilement. Nous avons passé une bonne semaine ensemble, paisible et heureuse, avec très peu de passages d’avions. Cela nous a semblé bon. Il est reparti le samedi. J’ai eu des nouvelles d’Henri dès lundi, il était heureusement bien arrivé avec une incroyable chance.
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11 juillet. L’activité aérienne a recommencé, avec des attaques de convois, d’autos isolées, de péniches, de ponts. Dimanche un gros essaim de forteresses attaquaient les Ponts de Cé, sans résultat.
Dans la nuit de mercredi à jeudi, passages innombrables d’avions, assez impressionnant.
21 juillet. Après dîner, 5 SS ont forcé notre cadenas et sont venus se mettre à l’abri des mitraillages jusqu’à la tombée de la nuit. Un jeune interprète français les accompagnait, garçon de 19 ans parlant quatre langues. Il nous a intéressés. Il pense que les Allemands et les Russes pactiseront quand ceux-ci arriveront en pays allemand. Il pense aussi que les Allemands veulent détruire l’anglais par tous les moyens, V1 d’abord, ces énormes bombes volantes qu’ils ont commencé à envoyer sur Londres et le sud de l’Angleterre.
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Les Anglophiles prétendent que d’ici 15 jours, il y aura du nouveau, qu’on apprendra à ce moment-là qu’il se sera passé à côté de nous des choses extraordinaires et que la fin arrivera plus vite qu’on ne croit... Plût au ciel que ce fut vrai.
Temps toujours couvert. Je pense que c’est cela qui nous préserve des incursions aériennes.
Les enfants sont superbes. Thierry marche tout seul et il est intenable, il imite les animaux, c’est à peu près tous ses efforts pour parler.
19 juillet. Nouveau bombardement d’Angers et des environs par des forteresses volantes qui m’ont survolée comme je revenais de la Rocherie chercher des oeufs. Temps très orageux. Les enfants s’en ressentent, ils sont durs.
6 août. Les évènements ont marché. Les Américains ont percé le front du Cotentin et ont dévalé à toute allure jusqu’ici où on les attend d’une minute à l’autre...
Les 150 B. (Boches)  qui sont au Lion s’attendent à être prisonniers et ne songent pas beaucoup à la résistance. Une auto anglaise se serait déjà faufilée par ici ce matin. Nous avons préparé un abri sûr dans la voûte du ruisseau qui passe sous la route. Nous attendons.
7 août. Les Allemands ont fait sauter le pont de Grez-Neuville en se retirant, les toits de Neuville et de l’église sont effondrés. Le soir même, à 8h, Henri arrivait à bicyclette, traversant la Mayenne sur le barrage, accouru en hâte en 36 heures de Paris pour nous sauver et nous protéger dans la bataille.

8 août. Il n’y aura pas de bataille, les Allemands sont partis depuis 24h, les Américains arrivent. Tout le monde les regarde passer et les acclame le long des routes. La guerre est terminée pour nous.  

2 commentaires:

  1. Très beau texte de ma grand mère!
    Angélique Bironneau

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  2. Camille Desprez17 avril 2015 à 10:49

    Tres beau recit ! 48h Paris- Grez-Neuville a velo c'est bon a savoir!
    Y'a t il d'autres memoires qui pourraient etre partagees?

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