Extraits
Journal de Jeanne Desprez, à compter du 6 juin 1944.
6 juin. « Les
avions ont tenu le ciel depuis 5 h jusqu’à 8h 30 sans arrêt. A 9h 30,
j’apprends à la radio anglaise le débarquement sur les côtes nord de la France.
Dieu protège notre pauvre pays !
Les avions ont
survolé la contrée toute la journée. Vers le soir, quelques échos de canon
lointains. Certaines têtes de pont semblent s’être maintenues. On se bat
parait-il dans les rues de Caen. 11.000 avions ou sorties d’avions, 4000
navires plus d’innombrables petits, d’immenses planeurs remorqués ont parachuté
des troupes. Attaque gigantesque. Peu de réaction de l’aviation allemande.
7 juin. Passages
incessants d’avions de toutes grandeurs et d’une dizaine de chasseurs
allemands. Nouveaux parachutages en arrière des lignes.
8 juin. Ce matin,
nouveau bombardement d’Angers.
10 juin. Ce soir
pendant 1h ½, le canon semblait-il a tonné. Ce matin nous entendions le
bombardement de Tours. Martin disait à ce propos : « on doit faire
sauter la terre avec une mine de houille ! »
11 juin. Dimanche
de Fête Dieu. Peu de bruits de guerre. Maurice, Pierre (le frère de Maurice) et
3 comparses ont essayé de dresser « Turenne ». Beau spectacle de
manège et même de cirque. Sur le tard, visite des Michel. ... J’ai semé des
radis, planté des pétunias.
13 juin. Grosse
émotion au Tertre hier soir : 4 avions à double queue, descendant en piqué
vers le Lion, ont jeté une petite bombe dans un petit bois près de la Beuvrière
et de la Violette, beaucoup de bruit pour rien heureusement. 2è bombe dans les
environs de la gare (1) et mitraillage d’un train de munitions stationné en
gare. Un avion a été abattu par la DCA et est tombé à Gené. Le train est
reparti une heure après. Pas de victimes à ce que je crois.
14 juin. A peine
remis des émotions de la veille, nous avons été soumis à une autre épreuve.
Vers 15h 30, alors qu’un convoi de tanks et de grosses batteries anti-chars se
dirigeait à toute allure vers Château-Gontier et le Nord, une escadrille de
chasseurs bombardiers, volant à basse altitude,
a soudain virevolté et en un clin d’oeil attaqué le convoi entre Grieul
et la côte de David, c’est-à-dire nous encadrant. J’ai ramené les poussins et
nous nous sommes réfugiés près de Mémé dans le petit salon, après avoir ouvert
toutes les fenêtres. Laurent était au lavoir avec Elizabeth et tous les deux
n’en menaient pas large. Ça a vraiment claqué sec et toute la maison a été
secouée violemment. Une bombe est tombée à Grieul sur un camion citerne qui a
flambé intégralement, mais aussi sur la ferme de Derouet où deux personnes ont
été tuées. A Grieul il n’y a plus de carreaux et chez Gannier plus de portes.
Un autre tank a brûlé en haut de la côte de David et toutes les munitions ont
sauté tout l’après-midi. Là un homme a été tué avec ses deux chevaux. Quelques bombes
sont tombées du côté de la Noue, mais la ligne n’a pas été touchée. Au Tertre
une bombe est tombée sur un gros châtaignier et une autre dans la pièce de
l’étang. Quelques balles de mitrailleuses sur les toits ont enlevé des
ardoises. Grâce à Dieu et à ND du Tertre, aucun dégât et pas d’accident !
Mais l’alerte a été chaude. La journée a été calme ensuite et la nuit aussi.
16 juin. Journée
belle et calme. Cette nuit les convois ont défilé, heureusement j’ai dormi.
Depuis le bombardement nous n’avons plus d’électricité car les fils ont été
brûlés à Grieul. Si bien que nous n’avons plus de radio et comme on n’a pas eu
de journal depuis deux jours, on ne sait rien de ce qui se passe.
Aucune lettre de
Paris depuis le 3, c’est long ! En cette fête du Sacré Coeur, il y aura
peut-être un espoir pour la France de voir se terminer la guerre. C’est ce que
Vincent et moi avons demandé ce matin dans notre Communion.
18 juin. Hier soir
grosse émotion de nouveau. 150 forteresses volantes accompagnées de chasseurs
volant dans la direction d’Angers, ont lâché près de 80 bombes dans les champs
à 2km de Grez sur la route de Feneu. Ont-ils voulu atteindre le château de
l’Isle où des convois étaient soi-disant parqués ou bien le camp d’aviation de
Bourg Soulaire, à tort car grosse erreur ! Angers a été atteint ensuite...
Michel arrivait à ce moment au Tertre. Heureusement il a échappé au
bombardement de Laval jeudi par miracle !
24 juin. Henri nous
est arrivé à l’improviste, venant à bicyclette de Paris, ayant mis 48h pour
faire ses 350km. Il n’avait pas l’air fatigué et prétendait avoir fait cela
très facilement. Nous avons passé une bonne semaine ensemble, paisible et
heureuse, avec très peu de passages d’avions. Cela nous a semblé bon. Il est
reparti le samedi. J’ai eu des nouvelles d’Henri dès lundi, il était
heureusement bien arrivé avec une incroyable chance.
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11 juillet.
L’activité aérienne a recommencé, avec des attaques de convois, d’autos
isolées, de péniches, de ponts. Dimanche un gros essaim de forteresses
attaquaient les Ponts de Cé, sans résultat.
Dans la nuit de
mercredi à jeudi, passages innombrables d’avions, assez impressionnant.
21 juillet. Après
dîner, 5 SS ont forcé notre cadenas et sont venus se mettre à l’abri des
mitraillages jusqu’à la tombée de la nuit. Un jeune interprète français les
accompagnait, garçon de 19 ans parlant quatre langues. Il nous a intéressés. Il
pense que les Allemands et les Russes pactiseront quand ceux-ci arriveront en
pays allemand. Il pense aussi que les Allemands veulent détruire l’anglais par
tous les moyens, V1 d’abord, ces énormes bombes volantes qu’ils ont commencé à
envoyer sur Londres et le sud de l’Angleterre.
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Les Anglophiles
prétendent que d’ici 15 jours, il y aura du nouveau, qu’on apprendra à ce
moment-là qu’il se sera passé à côté de nous des choses extraordinaires et que
la fin arrivera plus vite qu’on ne croit... Plût au ciel que ce fut vrai.
Temps toujours
couvert. Je pense que c’est cela qui nous préserve des incursions aériennes.
Les enfants sont
superbes. Thierry marche tout seul et il est intenable, il imite les animaux,
c’est à peu près tous ses efforts pour parler.
19 juillet. Nouveau
bombardement d’Angers et des environs par des forteresses volantes qui m’ont
survolée comme je revenais de la Rocherie chercher des oeufs. Temps très
orageux. Les enfants s’en ressentent, ils sont durs.
6 août. Les
évènements ont marché. Les Américains ont percé le front du Cotentin et ont
dévalé à toute allure jusqu’ici où on les attend d’une minute à l’autre...
Les 150 B. (Boches) qui sont au Lion s’attendent à être
prisonniers et ne songent pas beaucoup à la résistance. Une auto anglaise se
serait déjà faufilée par ici ce matin. Nous avons préparé un abri sûr dans la
voûte du ruisseau qui passe sous la route. Nous attendons.
7 août. Les
Allemands ont fait sauter le pont de Grez-Neuville en se retirant, les toits de
Neuville et de l’église sont effondrés. Le soir même, à 8h, Henri arrivait à
bicyclette, traversant la Mayenne sur le barrage, accouru en hâte en 36 heures
de Paris pour nous sauver et nous protéger dans la bataille.
8 août. Il n’y aura
pas de bataille, les Allemands sont partis depuis 24h, les Américains arrivent.
Tout le monde les regarde passer et les acclame le long des routes. La guerre
est terminée pour nous.
Très beau texte de ma grand mère!
RépondreSupprimerAngélique Bironneau
Tres beau recit ! 48h Paris- Grez-Neuville a velo c'est bon a savoir!
RépondreSupprimerY'a t il d'autres memoires qui pourraient etre partagees?